"Musiques de la Révolte Maudite" Mathias Richard
Par Sylvain Nicolino (www.obskure.com) Musiques de la Révolte Maudite est un livre de plus sur le rock et ses bruyants avatars. La particularité de celui-ci et qui me pousse à écrire cet article, c’est que son auteur choisit de triturer la langue, de l’endolorir de façon à créer à son tour une petite musique qui va hanter le lecteur. On peut bien sûr citer les jeux de mots littéraires (« cut the nOvel string » / « mad lines », les vers fous comme des madeleines mnémotechniques), les euphonies (« quand le sacré du ça crie s’écrit ») ou les jouissances néologistiques (« l’espace devient l’espasme »). Pour cette belle écriture vivante, ce livre vaut déjà le coup. Ce n’est, vous vous en doutez, pas son seul atout. A la recherche de ces acouphènes de mots en noir sur blanc, je présente Mathias Richard, adorateur de sons étranges et chroniqueur en 2001 et 2002 pour le fanzine Peace Warriors. Dans cette première publication, Mathias s’interroge et nous interroge : comment parler de musique sans tomber dans les travers journalistiques ? comment parler de musique et exprimer l’état dans lequel cet art continue à nous placer malgré l’âge qui avance ? comment parler (de) musique ? A ces questions, le livre ne répond pas, mais tente une approche moderne. Il ne sera pas catalogue de solutions, ni ouvrage critique, ni essai. Pas non plus une autobiographie de l’auteur sur fond de trampoline musical (même si, à l’exception de quelques textes dont celui sur Noir Désir, c’est bien la première personne qui nous guide et nous entraîne). Pas davantage un ouvrage de fan. Plutôt un exemple écrit, un cri exemplaire de l’action de ces musiques révoltées sur nos corps, nos esprits. Car la musique, c’est ce que Mathias rappelle avec brio, se vit, se boit, s’ingurgite et nous agite. Nous vivons musique car nous recherchons ces instants où nous nous perdons et si nous devons être une génération qui ne connaît pas le silence, la lecture du livre justifie nos comportements. La musique et les pratiques qu’elle engendre sont, dans notre contexte civilisé, un lien plus ou moins accepté avec notre nature sauvage. Foin de pédantisme ou de chapelle, l’auteur part de son expérience d’auditeur (les scènes d’écoute dans sa chambre), de spectateur (ah, ces concerts passés hors de la salle à se geler en refaisant le monde !) et témoigne des chocs musicaux sans cesse renouvelés durant la décennie des 90’s. Il évite les grosses pointures qui, passant à la radio ou à la télé, perdent toute force de singularisation (qui peut croire que Smell like teen spirit a pu être écrit pour lui quand les centres Leclerc balançaient Nirvana en fond sonore ?). On navigue ainsi de page en page entre Cannibal Corpse, Noir Désir, Ulan Bator, Hocico, Deity Guns, Nine Inch Nails, Run DMC et beaucoup d’autres, dont des groupes maladroits, mis en avant pour leur envie de se bouger malgré tout. Leur existence restant la meilleure preuve d’un besoin de faire supérieur à tout autre sentiment. L’auteur part de problématiques discrètes pour laisser son propos se construire en roue libre. Happée par l’émotion, l’écriture bascule dans la transe et le lecteur se trouve projeté dans des hallucinations sous emprise de musique : la voiture folle qui libère des cadavres pensants dans le chapitre consacré en partie à Unsane, le Japon victime des pires cataclysmes. A d’autres moments, la lucidité revient et on déguste une analyse des voix, des sons blancs de la scène noise ou encore une réflexion sur les limites du volume trop fort et qu’on finit par ne plus entendre : « Ils semblaient avoir commencé à jouer, semblaient même assez échauffés, mais on se demandait où était passée la musique, les oreilles ne percevaient rien. Que se passait-il ? Tout d’un coup, la vérité se fit jour, il ne s’agissait pas d’un problème de balance mais d’univers de perception : le changement d’environnement sonore avait été brusque et total ; le volume sortant des amplis avait été placé à un niveau si élevé que je n’arrivais pas ,dans un premier temps, à la percevoir le confondant avec le silence, et comprenant enfin que le silence comme nous l’entendons d’habitude est issu du bruit des planètes, ce que nous appelons le silence est simplement un bruit stable auquel nous sommes habitués, et ce que produisait Unsane était un silence à une autre échelle de volume (…) » (p.23). La musique peut ainsi tout envahir, hanter l’esprit et se superposer à notre vision du monde, comme issue d’un walkman corporel perpétuellement en marche. Mathias se transforme alors en morceau, devient musique, se fond dans les sons. Et puis, de nouveau un virage de raison : le dispositif scénique d’un groupe est minutieusement étudié, schéma à l’appui. La réflexion est toujours là, qui sous-tend le texte et affleure : « parler de la musique…peut-être est-elle trop importante pour qu’on le fasse… on peut raconter des anecdotes, des souvenirs, des impressions… mais rien de tout cela ne tient à côté de la musique (parfois c’est peut-être l’inverse : la musique ne tient plus à côté des mots ; parfois plus rien ne tient, ni la musique, ni les mots) ; depuis des années, il me semble cheminer d’erreur nécessaire en erreur nécessaire, et je relis avec irritation, déception, les paragraphes qui précèdent (…) » (p.16). Musique de la Révolte Maudite dresse le portrait d’un individu solitaire, seul avec la musique en ce sens où elle nous dévoile d’abord à nous-même avant de nous ouvrir aux autres. L’humour tempère ces monologues parfois sombres ou nostalgiques par défaut (si les textes furent écrits à l’époque, il est parfois triste, dix ans plus tard, de se remémorer combien grands furent certains groupes…) et on retrouve notre narrateur touché par un tube F.M. de sa jeunesse dans un Monoprix, bloquant entre les rayons et sentant sa jambe se mettre à bouger. Digne des célèbres strip du Crobard, on découvre les perplexes réflexions de Mathias : le disque de Melt Banana qu’il a acheté et qui ne porte pas d’étiquette doit-il être écouté en 33 tours ou en 45 ? (la même mésaventure m’était arrivé avec Rosa Crux !). On apprend aussi que le groupe dans lequel il chanta, sous influence Malicorne, ne réussit qu’à ébahir une pauvre vieille Japonaise de passage un soir de fête de la musique… Et puis, bien sûr, les paroles que l’on déforme à l’écoute sont toujours un joyeux moment d’auto humiliation. Les chapitres annoncés sont en partie des fausses pistes : la liberté d’écriture domine et on passe allègrement d’un groupe à l’autre, les dates et les lieux se télescopant dans un tourbillon de sensations. Pas à lire d’une traite donc, mais à savourer par petits bouts, pour y revenir souvent. Bon nombre de réflexions novatrices sont ici exposées (nos villes embaumées au bitume ; la ville musique qui se superpose à la ville visible) auxquelles de simples articles n’auraient pas donné naissance. « La musique est une faille de notre monde. La danse en est une autre. Danser la gigue en hurlant résout plus de problèmes que l’on ne croit. » Contact : Editions Caméras Animales 4 rue Victor Grossein 37000 TOURS camerasanimales@wanadoo.fr
Ecrit par tagliamento, le Lundi 6 Septembre 2004, 16:09 dans la rubrique "presence".
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